20ème chronique : les migrants, les agriculteurs, Tsipras et les autres…

A en croire les medias, des hordes de Huns venus d’Asie Mineure auraient envahi l’Europe ! A en croire certains responsables ( ?) européens, ils seraient prêts à tout détruire, à ruiner nos démocraties, à piller nos richesses !

Cette lamentable mélopée va encore conforter les forces brunes. Déjà 80 % des français (4 sur 5 !), voudraient renforcer les contrôles aux frontières et Nicolas Sarkozy, l’homme sans idées et qui les trouvent désormais à sa droite extrême, tel Charles Martel, voudrait bouter ces hordes hors de France.

Il faut raison garder : est-ce vraiment un problème d’intégrer quelques dizaines de milliers de réfugiés, qui fuient leur pays bien malgré eux, dans un espace de plus de 400 millions d’habitants ? Même Angela Merkel (« mère Angela ») a rapidement compris tout le bénéfice que l’économie allemande en pénurie de main d’œuvre pouvait tirer de cet afflux. Est-ce si difficile de faire venir en France 20 000 personnes en plus des 200 000 qui viennent chaque année légalement en France ? Seul le pape François, décidément bien sympathique, a réagi de manière positive en mobilisant toutes les paroisses catholiques. Et quelques maires aussi. Un peu de volonté politique devrait suffire.

Le vrai problème est plutôt de savoir pourquoi ces migrants ne veulent pas venir en France et préfère aller en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Suède. La France a encore raté le coche !

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Le cycle du porc est bien connu depuis que le porc existe : le prix du porc est élevé, tout le monde se précipite pour produire du porc, il y a trop de porc et le prix diminue…Comment des agriculteurs qui défendent la libre entreprise (et votent en grande majorité à droite) peuvent-ils ignorer ces basiques et réclamer des subsides lors de manifestations agressives lorsque le marché du porc est déprimé ? Ils feraient mieux

  • De diversifier leurs production et de réfléchir à une organisation plus collective de leurs exploitations qui leur permettrait de d’amortir plus facilement les chocs de prix sur un produit.
  • de rechercher la qualité (bio, labels,…) qui leur permettrait de vendre plus cher et d’éviter d’être en concurrence avec des exploitations étrangères plus grandes et donc plus performantes.

La libre entreprise c’est bien d’être responsable. Non ?

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Tsipras est un homme politique remarquable : il a réussi à trouver un compromis européen, et à se faire de nouveau réélire premier ministre. Le peuple grec a bien compris que la seule alternative, la sortie de la Grèce de l’euro, serait une catastrophe ; cela aurait en effet signifié une dévaluation immédiate de la drachme à cause du décalage de compétitivité de l’économie grecque : la dette libellée en euros serait devenue gigantesque en drachmes et l’économie complétement asphyxiée.

Tsipras a maintenant plusieurs années devant lui pour remettre de l’ordre dans l’économie grecque (ce qui n’est pas gagné) et mettre de fait progressivement un terme à une politique d’austérité stupide. Bravo l’artiste ! Et bon courage !

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Selon le Monde du 17 septembre, seulement 67 % des actifs Etats-Uniens auraient un travail ou en chercherait. Cela signifie que des millions d’actifs ont renoncé à travailler. Cela renforce le propos tenu dans la chronique du 9 juin dernier : le taux de chômage ne peut pas être un indicateur pertinent pour juger de la bonne tenue ou non d’une économie.

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Bolloré a repris en main Canal +. Les Guignols (la marque de fabrique de Canal) ne seront plus diffusés en clair et  leurs propos réorientés. Un des rares lieux de provocation, de parole libre et surtout de critique des forces brunes disparait. Vous pouvez reprendre une activité normale et, comme le suggérait Jean-Christophe Averty au siècle dernier transformer votre télévision en cage à lapin. Ah zut, on ne peut plus avec les écrans plats. Alors cela ne sert plus à rien !

 

Un peu de bon sens bon sang

FEMERAC

Si j’étais un vrai président – troisième épisode : réduire encore le temps de travail

Dix-neuvième chronique

La messe est dite. Daniel COHEN, professeur d’économie rue d’Ulm et vice-président cofondateur de l’Ecole d’Economie de Paris, vient de publier un livre « Le monde est clos et le désir infini » (clin d’œil pas très malicieux à l’ouvrage remarquable d’Alexandre Koyré « Du monde clos à l’univers infini »), qui stipule que la croissance économique risque d’être durablement faible. Les lecteurs de Femerac étaient déjà avertis ! Mais les paroles de cet économiste très distingué sont en première page des journaux et donc susceptibles d’être perçues. Tant mieux(1).

Il découvre aussi que les investissements réalisés dans les entreprises créent des gains de productivité uniquement au détriment du travail et donc de l’emploi(2). Il confirme ce que l’on savait depuis longtemps : que tous les emplois qui peuvent être « numérisés » c’est-à-dire remplacés par une machine ou un automatisme, vont disparaitre plus ou moins vite. Il en conclut que tout cela est bien problématique pour l’emploi. Et que propose-t-il ? Je cite « Faire bénéficier les chômeurs d’une formation professionnelle efficace ». Bigre. Ce n’est pas faux mais c’est un peu léger !

Non. La seule manière pertinente de réduire le chômage de façon sensible, c’est de réduire (encore) le temps de travail. Pierre Larrouturou(3) fait déjà ce constat depuis des lustres. Et ses propositions restent pertinentes : on passe à 32 heures en les finançant pas une réduction des cotisations sociales employeurs-employés(4), voire par une réduction des salaires de plus de 1500 euros mensuels. On a déjà signalé que cette dernière condition pouvait ne pas être acceptée. C’est pourquoi il est nécessaire, mais Larrouturou l’explique très bien, que la mise en place de cette réduction du temps de travail ne soit pas imposée à la hussarde (comme Martine Aubry a pu le faire pour les 35 heures mais elle était bien intentionnée) mais négociée entreprise par entreprise (de plus de 10 salariés) pour tenir compte des spécificités locales. Le temps de travail légal ne serait pas officiellement diminué mais les entreprises qui négocieraient une baisse de ce temps bénéficieraient d’un bonus fiscal.

Ce qui a été fait chez Volkswagen peut se faire en France.

Un récent sondage CSA pour les Echos révèle que 71% des français seraient favorables à une discussion sur la durée légale du travail (sous-entendu : remettre en cause les 35 heures pour travailler plus et gagner plus). C’est seulement révélateur du conflit évident entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas. Il sera difficile à surmonter. Il interdira de créer le million d’emplois que Larrouturou espère mais il est possible d’imaginer une baisse de 300 à 500 000 chômeurs.

 

(1) On parle ici de la croissance dite « potentielle » c’est-à-dire ce que le système productif est capable de produire. Et c’est ça l’essentiel. Cela n’empêche pas, comme déjà démontré, que cette croissance potentielle peut (et c’est le cas) ne pas être atteinte si la demande, notamment celle des consommateurs salariés, est bridée par un partage salaires-profits peu favorable.

(2) Ceci n’est pas obligatoire car on peut investir pour produire de nouveaux biens (utiles !) à partir de travaux de R&D. On peut alors parler de progrès.

(3) Déjà cité dans ces chroniques (cf « le livre noir du libéralisme » pp159 et suivantes pour l’analyse et pp184-85 pour la mise en œuvre).

(4)  Ceci n’est pas de nature à perturber les équilibres financiers du fait des économies réalisées sur le chômage et du gain de cotisations des nouveaux salariés (anciens chômeurs).

 

FEMERAC