26 ème chronique Lettre ouverte au président du MEDEF

« Monsieur le président,

J’ai récemment appris par la presse que vous demandiez au gouvernement de développer un plan d’urgence contre le chômage en déployant des mesures de même importance que celles déployées contre le terrorisme (cf par exemple Le Point du 8 décembre). Je ne saurai que vous féliciter d’une telle initiative.

Mais si vous êtes sans doute, monsieur le président, un grand capitaine d’industrie, il me semble à vous écouter que votre vision économique est restreinte au seul monde de l’entreprise et à la recherche de sa seule rentabilité. Ce que vous demande sans doute vos adhérents. Pour autant cette seule vision microéconomique vous empêche malheureusement de trouver les vraies solutions contre le chômage. Je me propose modestement de compléter votre vision.

Vous ne pouvez pas ignorer que l’Etat n’a que très peu de marges de manœuvres pour lutter contre le chômage. Le budget de l’Etat est déjà très déficitaire et ses marges de manœuvre sont nulles ; il est même demandé à la France dans le pacte de stabilité européen de réduire davantage ce déficit, ce que le président Hollande, habile tacticien, se garde bien avec raison de faire. Quant à la politique monétaire, la BCE, la Banque Centrale Européenne, qui en est responsable, inonde l’Europe de liquidités qui devraient être utilisées pour doper l’investissement, mais qui ne servent en définitive aux banques qu’à maintenir artificiellement les valeurs boursières.

La réglementation est une autre marge de manœuvre de l’Etat : allègements fiscaux ou de charges sociales entre autres. Le pacte de compétitivité de François Hollande, destiné là aussi à redonner des marges de manœuvres aux entreprises  et qui devrait coûter 40 milliards d’euros n’a sans doute pas porté encore tous ses fruits mais ce n’est pas et ne sera sans doute jamais un franc succès.

Donc , Monsieur le Président, l’Etat peut peu et les solutions de relance de l’activité et de la création d’emplois, notion plus simple à suivre que le niveau du chômage, sont en définitive entre vos mains. Pourquoi ?

Pourquoi en effet alors que les marges financières de vos entreprises adhérentes ont fortement augmenté en 2015 (plus de deux points ce qui n’est pas rien) suite au pacte de compétitivité (et aussi grâce à la baisse du coût des matières premières), l’investissement que tout le monde attend pour relancer la croissance et l’emploi tarde-t-il tant à augmenter ?

J’ai peur, Monsieur le président, que la réponse à cette question soit si simple qu’elle soit connue même dans les bistrots parisiens où vous pourriez de temps à autre aller boire un petit ballon : les salaires sont insuffisants. Et vos patrons l’ont bien compris : pourquoi investiraient-il si personne n’achète les produits qu’ils fabriquent faute de moyens ? Ils préfèrent alors jouer au Monopoly en achetant des concurrents, distribuer des dividendes ou investir en bourse : voilà pourquoi Madame la Marquise votre fille a tant de bijoux.

Même Monsieur Ford dans les années 20 du siècle dernier avait compris qu’il fallait bien payer ses ouvriers pour qu’ils puissent acheter les automobiles qu’il produisait désormais en série.

Et ne me dites pas, tel un refrain surrané, qu’une hausse des salaires nuirait de façon drastique à la compétitivité de vos entreprises. Puisque de ces marges vos adhérents ne font rien, autant susciter une augmentation de la consommation des ménages. Les entreprises en réelle compétition internationale sur la base des prix ont toutes déjà été délocalisées dans les pays à bas coûts ; comment lutter de toute façon contre des entreprises, y compris au sein de l’Union Européenne, qui ont un coût salarial 3 ou 4 fois inférieur. C’est sans doute là le plus important : la compétitivité prix n’est qu’un aspect du problème : il faut produire des biens de haute valeur ajoutée utilisant la haute technicité des salariés français.

J’aime donc à penser que votre organisation ne sert pas seulement à défendre les intérêts à court terme des entreprises adhérentes dans les commissions et les négociations sociales. J’aime à imaginer qu’elle crée les conditions d’émergence et de développement de start-up, qu’elle sait encourager l’innovation, qu’elle suscite les hausses de R&D, qu’elle développe avec l’Université et les Grandes Ecoles des contrats de formation et de recherche …

J’aime aussi à penser que pour dynamiser la créativité et la motivation au sein des personnels, vous réfléchissez à la mise en œuvre d’une entreprise qui donnerait la parole aux salariés et une participation plus active aux décisions et aux résultats (l’entreprise équitable, voir la 21ème chronique de Femerac).

Je me surprends soudain à rêver d’un monde d’entreprises à de hauts salaires, avec de la créativité et de l’innovation encouragée et relayée, à de la productivité par la motivation et l’envie. Et un faible niveau de chômage.

Monsieur le président voulez-vous partager mon rêve ?

Avec un peu de bon sens, bon sang !

 

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mon plus profond respect. »

 

FEMERAC

25ème chronique Vive les impôts

Les petits finlandais apprennent à l’école les vertus et l’utilité de l’impôt comme un acte civique majeur. Le petit français retient des discussions de famille que les impôts sont trop lourds voire qu’il faut s’efforcer d’en payer le moins possible. Car le français n’aime pas l’impôt. Sans doute, par atavisme, par le souvenir douloureux et rémanent des multiples impôts de l’ancien régime payés par les seuls roturiers dont les plus connus sont la taille (impôt sur le train de vie), la gabelle (impôt sur le sel) ou la dîme (impôt pour le clergé) !

Mais les mêmes français sont les premiers à se plaindre de l’état des routes, du délabrement des écoles (gratuites), du mauvais fonctionnement des transports collectifs, de l’insuffisance des manifestations culturelles ou de l’absence d’un policier derrière tout terroriste supposé. L’impôt est utile et indispensable au fonctionnement de la vie collective et le français a tort de véhiculer à son sujet un discours négatif. Il y a dans ce domaine un retard pédagogique flagrant.

Pour autant il ne faut pas que l’impôt puisse être l’objet de critiques flagrantes. Il doit être juste et utilisé de façon efficiente.

Pour que l’impôt soit perçu comme juste, il faut a minima qu’il soit payé par le plus grand nombre car le paiement de l’impôt est un acte civique contributif à la vie collective. Or en France plus de la moitié des ménages ne paye pas d’impôts sur le revenu (et donc pas d’impôts locaux). Outre le caractère démagogique de cette situation, il est contreproductif car l’impôt qui n’est pas perçu n’est qu’en partie reporté sur les plus riches (qui se sentent pourtant frustrés) mais en grande partie sur la TVA qui est un impôt non progressif.

Par ailleurs, comme l’a bien montré Piketty, la multiplicité des niches fiscales rend l’impôt sur le revenu complexe, perçu comme injuste et peu rentable. Mais la solution n’est pas, comme il le préconise, dans la généralisation de la CSG qui est une taxe proportionnelle, mais dans la création du revenu universel (cf 18ème chronique d’Août 2015) ? Celui-ci permet en effet de supprimer toutes les aides sociales (et donc tous les effets de seuil) et de faire payer l’impôt sur le revenu dès le premier euro en supprimant toutes les niches fiscales (y compris familiales) qui n’ont plus de raison d’être. Le revenu universel éradique la pauvreté et rend tous les ménages citoyens à part entière car contributifs(1).

Un renforcement sévère des contrôles doit pouvoir montrer au public que personne n’échappe à l’impôt et que les tricheurs sont sévèrement punis. L’estimation du montant des fraudes est aujourd’hui insupportable.

Enfin il faut pouvoir montrer que tous les revenus sont convenablement imposés, d’où la nécessité de la Taxe sur les Transactions Financières, la suppression des dérogations au paiement de l’impôt sur les sociétés, mais aussi (et c’est moins populaire) l’imposition des plus-value sur les résidences principales (qui contribuerait de plus à limiter les hausses de prix dans l’immobilier),…

L’argent récolté par l’impôt doit être perçu comme efficient (c’est-à-dire – Larousse – qui aboutit au résultat (efficace) avec le minimum de moyens). Ceci renvoie à la bonne gestion de l’Etat et des collectivités locales et à leur contrôle ex-post. Or ce contrôle est insuffisant : est-il bien raisonnable que le nombre d’employés municipaux par habitant fluctue autant entre les villes, que le nombre de voitures de fonction soit aussi élevé dans les grandes communes, que des pratiques comme le parti-fini pour les éboueurs de Marseille soit maintenues (faisant de cette ville la plus sale de France même si les habitants y contribuent par leur incivilité), que la superposition des structures (communes, communautés urbaines, départements, régions) ne soit pas enfin simplifiée (l’argument de la proximité étant résolu par la création de centres de services publics dans les centres commerciaux par exemple),… ? Il est temps de mettre en place des évaluations comparatives des services publics à destination des citoyens (bien au delà des simples rapports plus ou moins confidentiels des Cours des Comptes) qui leur montre simplement ce qui a vraiment été fait de leur argent.

Il faut réconcilier le français avec l’impôt.

UN PEU DE BON SENS, BON SANG !

(1) Il permet aussi de diminuer un peu les charges des entreprises (les 5,25 % consacrés aux allocations familiales). C’est sans doute pour cette raison que le député LR Frédéric Lefebvre s’en fait le chantre. Tant mieux. Mais je propose d’augmenter en contrepartie l’impôt sur les sociétés !

 

FEMERAC