36ème chronique Le monde économique à l’envers

Près de 9 000 milliards d’euros de dette souveraine (dette des Etats ou des banques centrales) concernant 14 pays dans le monde sont aujourd’hui rémunérés à des taux nominaux négatifs (cf Le Monde du 9 juin 2016). Soit plus de quatre fois le PIB de la France ! On a connu les taux d’intérêt réels négatifs lorsque l’inflation était plus élevée que le taux d’intérêt (1), notamment dans les années 1970-80,  ce qui a permis à de nombreux emprunteurs de faire financer leur achat immobilier par l’inflation. Mais jamais de taux nominaux négatifs pour des emprunts de durées allant jusqu’à 4 ans ! Seules les Etats et les banques commerciales sont autorisés à emprunter à des taux négatifs. Cette situation est interdite aux particuliers. Pourquoi une telle aberration économique ?

C’est la conséquence directe de la crise financière de 2008 : les banques, extrêmement laxistes dans les années 2000 en matière de prêts, ce qui a provoqué la crise des subprimes (2), sont devenues extrêmement prudentes : elles hésitent à prêter aux entreprises fragilisées par la crise (risque fort de contrepartie, c’est-à-dire de défaillance du client) et préfèrent placer leurs liquidités (les dépôts de leurs clients) à taux négatifs auprès de la Banque Centrale Européenne (BCE) plutôt qu’aux autres banques (c’est la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008 qui a engendré cette méfiance des banques les unes envers les autres ). Dans ce contexte la BCE a facilité l’accès du système bancaire à des liquidités (politique du Quantitative Easing) à des taux très bas pour relancer l’économie. Sans effets car le problème n’est pas de fournir davantage de liquidités, qui aujourd’hui s’investissent dans les seuls placements sûrs (les emprunts des Grands Etats) ou en Bourse ; le problème c’est la confiance dans l’économie.

Mais alors si l’Etat français peut emprunter à des taux aussi bas pourquoi tant se presser à diminuer la dette et au contraire pourquoi ne pas emprunter davantage pour réaliser des investissements publics destinés à préserver l’avenir notamment pour lutter contre le réchauffement climatique mais aussi pour améliorer nos équipements collectifs (écoles, hôpitaux, routes,…) qui vieillissent bien mal ! L’économie serait relancée et la confiance reviendrait et les banques prêteraient de nouveau : cercle vertueux.

Une autre aberration économique : des prix d’électricité négatifs apparaissent désormais sur le marché spot (c’est-à-dire en temps réel) européen. Ce phénomène est liée au développement très important de l’éolien en Allemagne : quand le vent souffle et que les 45 GW(3) d’éolien installés en Allemagne (fin 2015) tournent, il y a trop d’électricité sur le réseau et les prix deviennent négatifs pour inciter à la consommation et empêcher l’arrêt brutal et coûteux de centrales thermiques (notamment nucléaire) car le stockage de l’électricité étant très faible, il faut que production et consommation s’ajustent instantanément pour éviter l’écroulement du réseau électrique. Si le développement de l’éolien est une bonne chose, il faut éviter qu’il ne se fasse de façon anarchique sans tenir compte de ses effets intermittents sur  les contraintes du réseau européen. Des esprits affutés pourraient arguer qu’il faut alors développer la production renouvelable décentralisée. Mais cela supposerait des investissements locaux très coûteux et …souvent inutiles car sait-on que grâce au foisonnement des consommations permis par le réseau électrique, la puissance maximale appelée culmine en France à 100 GW alors que la puissance souscrite (la puissance maximale que peut utiliser un foyer ou une entreprise) dépassent les 300 GW soit trois fois plus ! Le réseau électrique a un énorme intérêt économique, préservons le !

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L’économiste Daniel Cohen, cofondateur de l’Ecole d’Economie de Paris admet (cf interview dans l’Obs du 16 juin 2016) que le revenu universel, qui sera expérimenté par la Finlande l’année prochaine, est une utopie réaliste. On progresse ! …Va-t-on enfin un jour réussir à éradiquer la pauvreté ?

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Les anglais viennent de décider à une majorité pas si courte leur sortie de l’Union Européenne. Bien sûr il y a le risque de contagion et d’un possible éclatement de l’Europe, mais globalement c’est une bonne nouvelle (cf chronique du 10 mai 2015) pour peu que les dirigeants européens s’attachent désormais à créer une Europe qui ne soit pas réduite à un grand marché intérieur.

Avec un peu de bon sens, bon sang !

 (1) Taux d’intérêt réel = taux d’intérêt nominal – taux d’inflation

(2) On simplifie un peu abusivement mais l’idée est juste !

(3) Un GW vaut 1 million de kW. Il s’agit de puissance électrique (et non de consommation laquelle est mesurée en kWh ou GWh,…).

FEMERAC

35ème chronique Il faut sauver le soldat EDF !

L’action EDF est à 12 euros. Elle était il y a quelques mois en dessous de 10 euros. Alors que l’action a été vendue 32 euros lors de son introduction en Bourse en 2005 et que sa valeur a atteint 85 euros lorsque le président Sarkozy en a revendu une partie fin 2007 (à hauteur de 3,7 milliards d’euros) pour le bien-être des finances publiques en commettant une bourde (annonce précipitée qui a fait baisser le cours et fait perdre 1,3 milliards à l’Etat !).

La valorisation actuelle de l’entreprise EDF est d’environ 23 milliards d’euros, soit moins d’une fois et demie l’EBE c’est-à-dire le profit de l’entreprise, alors que la norme pour les valorisations boursières varie de 3 à 20 : l’entreprise devrait dès lors valoir au moins 50 milliards d’euros. Chacun des 58 réacteurs nucléaires d’EDF vaut donc moins de 400 millions d’euros, alors que produisant en moyenne 7 TWH par an (7 milliards de Kilowattheures), il rapporte en chiffre d’affaire chaque année et a minima de l’ordre de 200 millions d’euros. Jolie proie pour des prédateurs si l’entreprise n’était pas encore détenue à 85 % par l’Etat. Cherchez l’erreur !!!

Bien sûr les prix sont déprimés sur le marché de l’électricité en Europe (car le prix du gaz est très faible et parce que la consommation a été très ralentie par la crise économique depuis 2008). On se demande bien pourquoi une industrie aussi capitalistique (c’est-à-dire nécessitant de gros investissements) est guidée par des prix au jour le jour sur un marché fluctuant avec le prix des combustibles alors qu’elle pourrait être organisée pour l’essentiel autour de contrats à long terme fondés sur les coûts dits complets (investissement, exploitation et combustible). La sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne, héraut de la libre concurrence et de la vision à court terme qui a largement influencé le système actuel, pourrait faire avancer la réflexion sur ce thème et redonner de la sérénité à la gestion des producteurs d’électricité en Europe, tous mal en point. Mais les prix sur le marché de gros européen n’expliquent qu’une partie du problème.

Les opérateurs boursiers…et le public se demandent en réalité où va EDF ? Dans le mur ?  Oui, si du haut de sa domination ancienne, EDF continue de savoir mieux que quiconque quoi faire et comment faire sans écouter personne. Et continuer de manquer de vision stratégique claire.

L’entreprise doit en effet arrêter d’être sur tous les fronts à la fois, créant la confusion et l’incertitude.  Car le problème et sa solution sont simples. La France a et aura encore besoin longtemps du nucléaire, car le développement des énergies alternatives qui sont en majeure partie intermittentes ne permettent de se substituer qu’en partie à la production de type classique, le prix du stockage de l’électricité étant aujourd’hui globalement prohibitif faute d’évolution technique spectaculaire. Comme il est hors de question d’agir comme les allemands contraints de remplacer le nucléaire par du charbon aux dépens de l’effet de serre, c’est le nucléaire qui jouera le rôle de complément nécessaire. Pour autant, dans 40 ou 50 ans toute l’électricité produite le sera à partir de renouvelables : la France aura donc  besoin de moins en moins de nucléaire et EDF n’a qu’un seul choix :

  • Programmer le démantèlement progressif de ses centrales sur les 50 ans qui viennent, à commencer par la plus ancienne Fessenheim puis par celles soumises à des risques sismiques notamment dans la vallée du Rhône. EDF pourra ainsi acquérir une technologie du démantèlement à haute valeur ajoutée et devenir ainsi leader mondial. Reporter au début du siècle prochain (dans 100 ans !) ce démantèlement comme EDF vient de l’annoncer (Cf le Monde su samedi 4 juin) est tout simplement irresponsable.
  • Investir massivement en R&D et en industrie dans les énergies alternatives et les techniques de stockage, pour devenir là aussi un leader mondial.
  • Etre un acteur majeur dans les économies d’énergies et, grâce à sa R&D de haut niveau, proposer et mettre en œuvre les techniques les plus efficaces et les moins coûteuses, évitant ainsi de nombreux acteurs dont les collectivités locales d’investir à tort et à travers sur ce sujet.
  • Procéder aux travaux de rénovation de grande envergure de ses centrales (ce qu’on appelle le grand carénage) dont le coût est aujourd’hui estimé à 55 milliards sur 10 ans si on traite toutes les centrales mais beaucoup moins dans une vision de démantèlement progressif. Cette action permettra de prolonger la vie des centrales de 20 ans et d’éviter ainsi d’en construire des nouvelles.
  •  Arrêter de vendre et de construire un réacteur, l’EPR, qui n’est qu’un prototype et qui ne fonctionne pas. Annuler ainsi le contrat anglais de Hinkley Point (gain 15 milliards d’euros). Mais en revanche et avec l’activité réacteur d’AREVA, concevoir tranquillement un nouveau type de réacteur simple, sûr et moins coûteux et tirant parti des centaines de milliers d’heures de fonctionnement du nucléaire français. C’est un challenge et un enjeu majeur pour rester un acteur nucléaire dans le monde où le nucléaire se substituera aux centrales charbon, pétrole ou gaz en attendant le tout renouvelable.
  • Pour financer tout cela, qui est beaucoup plus raisonnable que ce qui est proposé aujourd’hui, une hausse adaptée des tarifs qui concerne encore les deux tiers des clients. (La France est aujourd’hui un des pays européens où le prix de l’électricité est le moins cher, 20 % en dessous de la moyenne européenne). Ne serait-ce aussi que pour rendre plus rentables les économies d’énergies. En contrepartie EDF devra s’engager publiquement à réaliser des efforts substantiels de productivité, sauf dans le nucléaire où EDF devra être irréprochable sur la sûreté.

Avec un tel programme réaliste et sécurisant, redonnant à l’opinion française une image positive du nucléaire, l’action remontera à 35 euros !

Alors, Femerac président d’EDF ?

Avec un peu de bon sens, bon sang !

FEMERAC