47ème chronique Bannir le travail au noir !

On exagère à peine en affirmant, pour l’avoir largement testé, qu’il  existe peu d’entreprises artisanales, voire plus importantes, qui ne vous propose de payer en liquide tout ou partie d’un service rendu.  La Cour des comptes estimait en octobre 2014 et pour l’année 2012 entre 20 et 25 milliards d’euros le coût fiscal et social du travail dissimulé. Une étude menée en 2016 par l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) estimait cette fraude des entreprises à environ 7 milliards d’euros. Ce qui ramènerait la fraude à des niveaux importants en niveau absolu mais relativement modestes en niveau relatif (2%) et nous mettrait loin derrière dans le classement des mauvais élèves européens, loin derrière la Grèce et l’Italie !

Ces derniers chiffres sont difficiles à croire. Ces estimations sont en effet  fondées sur le recoupement de fichiers entre les différentes administrations. Mais elles ne mesurent pas la réalité du travail au noir qui ne passe par aucun document : celui du café vendu au bistrot d’à côté servi sans ticket et fabriqué avec du café acheté en liquide au supermarché du coin. Ni vu ni connu. Plus facile encore de dissimuler des cours particuliers ou des prestations de coiffure,…

Bien sûr cette pratique ne peut être que marginale (10-20 % ?), surtout pour des acteurs qui ont pignon sur rue, sous peine d’être trop facilement repérée. Difficile en effet de croire le patron d’une petite entreprise qui roule en 4X4 tout en déclarant un bénéfice à peine supérieur au SMIC ! Pour autant, dans une estimation grossière, si on estime à 10% ce type de dissimulation sur l’ensemble des secteurs pour lesquelles cette possibilité est ouverte (service aux particuliers , commerce, hôtellerie, bâtiment,…), et en constatant que plus de 50 % des transactions sont encore réglées en espèces en France, on peut estimer à au moins 50 milliards d’euros le montant total du travail au noir et donc estimer à plus de 10 milliards le montant des pertes fiscales et sociales qui viennent sans doute s’ajouter aux estimations de l’Acoss. On retrouve alors les chiffres de la Cour des Comptes.

Peu importe en réalité la valeur exacte de chiffres non vérifiables par définition. Il importe qu’ils soient non négligeables.

Faut-il alors laisser faire et se dire que ce travail au noir permet une respiration financière bienvenue pour des métiers qui « croulent sous les charges » ? Difficile à admettre, par pure justice, que certains puissent échapper à l’impôt et aux charges sociales alors que ce ne peut pas être le cas pour la majeure partie des salariés. Car réduire ou supprimer le travail au noir remettrait un peu baume au cœur des comptes publics.

Mais comment faire ?

Encourager le délation : c’est déjà une possibilité car la loi de Finances 2017 a autorisé, en expérimentation sur deux ans, la rémunération par le fisc des informations fournies par les citoyens en vue de sanctionner tout « manquement à une obligation fiscale ». Même si le français excelle dans ce genre de pratique délétère (cf la dénonciation des juifs pendant la 2ème guerre mondiale), nous ne saurions la recommander !

Alors il faut faire comme le gouvernement indien, agacé par l’importance de l’économie souterraine, qui vient de supprimer les billets les plus utilisés par la population. Si cette mesure est susceptible de freiner l’économie indienne qui règle ses transactions à plus de 90 % en espèces, elle pourrait sans beaucoup de problèmes être mise en place en France où il est seulement interdit depuis 2015 de régler les factures de plus de 1000 euros en espèces. Car au pays qui a inventé la carte bleue il ne saurait être très difficile de généraliser le paiement par carte monétique et par simple contact même pour payer sa baguette. Au même titre que les cartes de bus.  Il suffit que le système soit bien sécurisé (techniquement et financièrement, ce que l’on sait faire) et qu’on impose un système de paiement tôt ou tard inéluctable, et qui engendrerait des économies considérables (1)

 

Avec un peu bon sens, bon sang !

FEMERAC

(1) Un billet de banque a une durée de vie moyenne de 3 ans et son remplacement coûte plusieurs euros (c’est un chiffre gardé secret par la Banque de France) !!!. Par ailleurs il y a en France 57000 distributeurs à entretenir !

46ème chronique Vive la Sécu !

Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, et Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé à Sciences-Po, ont eu une bonne idée (Cf le Monde du 16 janvier 2016) : ils proposent de créer une assurance-maladie universelle. C’est-à-dire, pour simplifier, de supprimer progressivement toutes les assurances maladies complémentaires (dont 80% sont des mutuelles) et de confier à la Sécurité Sociale le rôle entier de remboursement des dépenses de santé, moyennant de la part des assurés une hausse (obligatoire) de leurs cotisations.

Leur argument est fondé sur un rapport de 2013 dont les conclusions sont assez surprenantes :  le coût de gestion de la Sécu est de l’ordre de 4% (6,5 milliards d’euros sur un total de 150 milliards de remboursements) alors qu’il est pour les mutuelles en moyenne de l’ordre de 19% (6 milliards sur un total de remboursements de 32 milliards). La Sécu modèle de gestion : incroyable… mais vrai !

Faire gérer par la Sécu traditionnelle l’ensemble des dépenses de santé économiserait a minima 6 milliards d’euros, puisqu’au-delà des economies de frais de gestion, il faut tenir compte du gain potentiel énorme issu du fait qu’un dossier médical ne sera plus traité qu’un fois au lieu de l’être deux fois dans le système actuel. Et ainsi économiser ce que les économistes appellent dans leur langage feutré, des coûts de transaction. Autrement dit des gâchis !

Même si l’OMS classe le système de santé français comme le premier au  monde en termes d’efficacité (cf Patrice Alloux  « La santé n’est pas une marchandise ») et celui des Etats-Unis, fondé sur des assurances privées, comme le 12ème seulement, on peut constater qu’il reste encore des marges de progression.

Mais alors pourquoi en est-on arrivé là ?

Les organismes de “complémentaire santé” se sont considérablement développés depuis 20 ans en raison de la diminution du taux de remboursement des régimes obligatoires. Ceux-ci couvrent aujourd’hui environ 78% de la dépense globale de soins, 54% des soins courants (médecins, médicaments, analyses) et parfois moins de 10% pour certaines dépenses spécifiques (optique, dentaire).

Car face à la hausse très importante des dépenses de santé (la consommation de soins et de biens médicaux représentait 3,4 % du PIB en 1960, 6,3 % en 1980 et 10,9 % en 2013 (ref  OCDE) , et qui le seront encore davantage à l’avenir avec le vieillissement de la population sauf à changer notre mode de consommation médicale, il a été choisi par les pouvoirs publics de diminuer les remboursements plutôt que d’augmenter les cotisations sociales (salarié ou employeur) ou la CSG (cotisation sociale généralisée). En laissant ainsi le champ libre à un système de cotisations volontaires payées par le seul assuré. Cette diminution de la qualité de la solidarité santé s’est traduite par le non accès aux soins des plus pauvres : le gouvernement Jospin a créé en 1999 la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire) et le gouvernement Ayrault a créé en 2013 l’obligation pour les entreprises du secteur privé de proposer à leurs salariés une complémentaire santé, par un contrat collectif qu’elles devront financer à 50%.

Comment faire simple quand on peut faire très compliqué ! Et donc très coûteux.

L’idée de Hirsch-Tabuleau est donc à retenir d’urgence. Elle n’est en fait pas très originale : elle consiste à revenir à la Sécu d’antan, financée par le salarié et le patronat, en améliorant les prestations (optiques et dentaires en particulier). C’est en fait ce que propose Jean-Luc Mélenchon dans son programme présidentiel. Et, au moins sur ce point dont l’application est simple, il est en pointe sur tous les autres candidats.

Avec un peu bon sens, bon sang !

FEMERAC