Le chômage : un indicateur pertinent ? Mais de quoi ?

Tous les mois la presse commente, avec grand bruit mais sans véritable analyse, l’évolution du nombre de chômeurs. Et globalement compare les taux de chômage des différents pays en montrant du doigt les plus mauvais scores. Cet indicateur est devenu central dans le pilotage de l’économie par les politiques (la fameuse inversion de la courbe du chômage). Mais ceci a-t-il un sens ? Le chômage ne fait que de mesurer à un instant donné la capacité d’une économie à fournir un emploi à toutes les personnes qui se présentent sur le marché du travail. Elle ne mesure que très partiellement la bonne santé de l’économie.

Pour caricaturer (un peu seulement), une économie peut être extrêmement performante avec 5 millions de chômeurs si elle vend très cher au monde entier de nombreux produits de très haute qualité avec une grande productivité et de façon performante (c’est-à-dire souvent très automatisée, avec une main d’œuvre très qualifiée et peu nombreuse). La valeur ajoutée dégagée par ces secteurs performants permet de rémunérer les chômeurs.

A l’inverse, et toujours dans la caricature (légère), une économie peut être sans chômeurs si elle produit avec une très faible productivité, et donc avec beaucoup de main d’œuvre, des biens de faible valeur ajoutée uniquement destinés à la population locale en se mettant intelligemment (est-ce possible aujourd’hui sur le long terme ?) à l’abri de la concurrence internationale, et si elle consomme très peu de biens importés de haute technicité.

L’évolution du nombre de chômeurs ne va donc dépendre qu’en partie de l’efficacité et de la compétitivité de l’économie. Elle est aussi liée à des phénomènes modifiant l’arrivée des personnes sur le marché du travail. Quand le président Chirac décide en 1996 de supprimer le service militaire obligatoire pour les jeunes nés après 1979, il entraine mécaniquement une arrivée massive de près de 400 000 personnes supplémentaires sur ce marché sans que rien n’ait changé du côté de l’offre : tous les garçons d’une génération se rendent à Pôle emploi au lieu d’aller dans une caserne ! De même quand les lois Fillon de 2003 modifient l’âge de départ à la retraite, augmentent le nombre de trimestres nécessaires et créent le système de la décôte, les salariés ont  progressivement retardé leur départ à la retraite, empêchant ainsi les jeunes générations d’accéder à ces emplois : l’effet sur le chômage concerne plusieurs centaines de milliers d’emplois. Dans tous ces cas ce sont les jeunes qui ont davantage de difficultés sur le marché de l’emploi ; rien d’étonnant à voir cette catégorie vivre avec des taux de chômage très importants.

Plus généralement, l’évolution du chômage va dépendre du taux d’activité des hommes et des femmes, taux qui peut fluctuer pour des tas de raison : celles évoquées ci-dessus à titre d’exemple, mais aussi l’allongement de la durée des études, le choix des femmes (et des hommes ?) de rester ou non à la maison pour élever ses enfants, le nombre de naissances 15 – 20 ans en arrière et qui représente le nombre de jeunes qui cherchent aujourd’hui un emploi,… Il va aussi dépendre de la nature des emplois occupés : à plein temps ou à temps partiel (et lequel ? à quelles conditions ?) et de la durée hebdomadaire moyenne du travail : plus cette durée est longue moins d’emplois on crée. …

L’indicateur « évolution du nombre de chômeurs » n’est donc pas très pertinent pour décrire l’état d’une économie et encore moins pour comparer une économie avec une autre, tant son interprétation est hasardeuse. Sauf à décrire un problème de détresse sociale, ce qui supposerait d’ailleurs de savoir précisément comment ce chômage impacte la population et le revenu des ménages. Mieux vaudrait utiliser un indicateur du type « évolution du nombre d’emplois équivalent temps plein et pondérés par le niveau de qualification » ; cet indicateur donnerait une véritable idée du nombre et de la qualité des emplois créés, et permettrait de relativiser le discours souvent larmoyant face à des entreprises en détresse produisant des produits obsolètes ou polluants alors que se créent (ou non !) ailleurs des emplois collectivement plus intéressants et dont on parle beaucoup moins. Pour avoir une vue globale il faudrait alors adjoindre à cet indicateur un autre qui serait représentatif de « l’évolution du niveau et de la distribution des revenus des ménages » (et non des individus), permettant ainsi de lier dynamique économique et qualité de la redistribution qui sont bien là les deux véritables objets de la politique.

Ces indicateurs peuvent être mis en place rapidement comme instruments de pilotage par les politiques et les medias. Un peu de bon sens, bon sang.

FEMERAC

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